Prendre de la hauteur pour voir comment les dérèglements du climat affectent déjà les populations, mais aussi comment celles-ci s’efforcent de s’y adapter et de transformer la lutte contre le changement climatique en une source d’opportunités. Tel était l’objectif d’une expédition entreprise il y a quelques jours sur le mont Kenya, avec à sa tête Tim Jarvis, fondateur de 25zero (a), un projet conçu pour montrer concrètement ’impact du réchauffement planétaire sur les glaciers des montagnes tropicales. Trois membres du Groupe de la Banque mondiale ont pris part à cette ascension : John Roome, directeur principal pour le changement climatique, Merli Margaret Baroudi (a), directrice Analyse économique et développement durable à la MIGA, et Prashant Kapoor (a), spécialiste en bioclimatique au Climate Business Group de l’IFC. À leurs côtés se trouvaient également Patricia Achieng Nyingu’ro, météorologue au ministère kényan de l’Environnement et de la Foresterie, et Liatile Putsoa, ambassadrice jeunesse du programme Connect4Climate (a).
En première ligne face au changement climatique
Point culminant du Kenya et deuxième plus haut sommet d’Afrique, le mont Kenya déploie sa silhouette imposante jusqu’à Nairobi, pourtant située à quelque 150 kilomètres. Il devrait son nom, qui signifie « scintiller » dans la langue des Kambas, à ses neiges éternelles. Mais les glaciers qui étaient autrefois son principal attribut se réduisent aujourd’hui comme peau de chagrin. Selon le Programme des Nations Unies pour l’environnement, il n’en reste plus que dix sur les dix-huit qui recouvraient les cimes du massif il y a un siècle. Dix champs de glace qui risquent de fondre complètement dans les 25 prochaines années sous l’effet du réchauffement. Et qui témoignent plus largement des effets induits par le changement climatique dans la région.
Alors que l’Afrique est responsable de 4 % seulement des émissions mondiales de gaz à effet de serre, 65 % de sa population subit directement les conséquences des dérèglements du climat. Au mois de mai 2018, les pluies torrentielles qui se sont abattues sur l’Afrique de l’Est ont causé le déplacement de 260 000 habitants au Kenya et touché 500 000 personnes en Somalie. Ces inondations ont frappé des populations qui se remettaient à peine de la sécheresse et de la famine qui avaient sévi auparavant dans la région. Cette situation a ralenti la production agricole au Kenya, provoqué une hausse des prix alimentaires et de l’inflation, et grevé lourdement la croissance économique. La dégradation des conditions environnementales et l’aggravation des phénomènes climatiques extrêmes ont contribué à une recrudescence de la faim après de nombreuses années de progrès. Aujourd’hui, environ un cinquième de la population africaine, soit 257 millions d’individus, est sous-alimenté.
Le Mont Kenya  © Banque Mondiale

Si l’on ne fait rien pour y remédier, l’Afrique subsaharienne comptera 86 millions de migrants climatiques en 2050. Les pénuries d’eau provoquées par le changement climatique risquent à elles d’amputer de 6 % le PIB des pays du Sahel, et d’entraîner une hausse des migrations et le déclenchement de conflits. Le Kenya connaît déjà des flambées de violence provoquées par les répercussions de la fonte des glaciers sur les moyens de subsistance des agriculteurs et des éleveurs.
Libérer de nouvelles sources de croissance verte et résiliente
Le changement climatique représente un défi majeur pour tous les pays. Mais les mesures prises pour y faire face sont aussi synonymes d’opportunités économiques majeures. De fait, les actions de lutte contre le changement climatique pourraient se chiffrer à 26 000 milliards de dollars de gains économiques d’ici 2030 et créer 65 millions de nouveaux emplois dans le monde. Pour les pays africains, la menace du changement climatique se double de multiples enjeux et autant d’opportunités : bâtir des villes où les habitants pourront se déplacer, respirer un air pur et être productifs ; mettre en place des systèmes d’approvisionnement en eau et en électricité résilients et garantir un habitat résistant aux intempéries ; enfin, développer des systèmes alimentaires, agricoles et fonciers plus robustes et résilients.
La semaine dernière, la troisième édition du One Planet Summit, qui s’est tenue à Nairobi, a amplement illustré le dynamisme de l’Afrique, foyer d’innovations et d’investissements climatiques. Le continent abrite déjà l’une des plus grandes centrales solaires thermiques à concentration du monde : le développement du complexe Noor, au Maroc, qui peut alimenter plus de 1,1 million d’habitants, a aussi permis d’accélérer les investissements mondiaux dans une technologie prometteuse. Au Kenya, la technologie permet à plus de 150 000 éleveurs (a) exposés aux risques d’inondation et de sécheresse de bénéficier d’une assurance qui se déclenche en fonction des conditions de pâturage observées par satellite. Ces innovations façonnent aujourd’hui la réponse de l’Afrique au changement climatique, mais elles pourraient devenir demain des solutions pour le monde entier.
Cette semaine, à l’occasion de l’Africa Climate Week, au Ghana, la Banque mondiale mettra par exemple en lumière sa collaboration avec Inyenyeri, une entreprise rwandaise qui promeut une approche novatrice pour exploiter le marché des fours de cuisson propres, avec, à la clé, une réduction de 98 % de la pollution de l’air dans les habitations. La Banque s’attachera également à montrer comment la coopération, grâce aux financements, aux mécanismes de marché et à la technologie, peut considérablement contribuer à inscrire l’action climatique dans le cadre plus large des objectifs de développement de la région.
Conclusion
L’ascension du mont Kenya a permis à notre expédition de voir « à l’œil nu » les conséquences du changement climatique sur les populations locales et sur le développement. Des inondations extrêmes aux signes de déforestation, les effets du changement climatique sont manifestes. Mais, des techniques de collecte de l’eau innovantes aux pratiques agricoles climato-intelligentes, cette expédition a aussi été l’occasion de découvrir des témoignages encourageants sur la manière dont les habitants s’adaptent à l’évolution du climat et renforcent leur résilience aux risques futurs.
Face à la vulnérabilité des populations aux chocs et stress climatiques mondiaux, il apparaît indispensable de soutenir davantage leurs stratégies d’adaptation et de résilience. C’est pourquoi sur les 22,5 milliards de dollars que le Groupe de la Banque mondiale allouera au climat en Afrique entre 2021 et 2025, plus de la moitié (soit entre 12 et 12,5 milliards) seront consacrés à l’adaptation et à la résilience.
Vue du mont Kenya, la situation est limpide : il est clair que le changement climatique est réel et sa menace grandissante. Mais il est tout à fait clair aussi que l’Afrique ne manque pas de leadership et qu’elle peut compter sur l’esprit d’entreprise de son secteur privé et sur l’enthousiasme de ses habitants pour une action climatique ambitieuse. Alors, certes, l’Afrique est en première ligne face aux conséquences du changement climatique, mais elle peut être aussi à la pointe des solutions pour les anticiper.
Titre original de l’article :  Le changement climatique vu du Mont Kenya :de nouveaux horizons face à des effets déjà tangibles